Miryam

In memoriam

On l’appelait par ses initiales ou simplement Grampa Dick.
Mon grand-père est décédé le mois dernier après près d’un siècle d’une vie bien remplie.
Cet article est une manière de rassembler quelques souvenirs et de lui rendre un dernier hommage.

Nous avons partagé avec nos enfants l’annonce du décès et pris un moment pour dérouler les grandes étapes de sa vie, regarder quelques photos. Déjà, il y a deux ans, en voyant une photo de Grampa Dick, notre cadet avait décrété : « il est tellement vieux, il est déjà presque mort ! ». Ce regard pragmatique nous avait fait sourire : nos enfants sont encore à l’âge où la mort n’est pas vraiment l’interruption de quelque chose, c’est juste la continuité normale de la vie … Cette fois, c’est notre aîné qui a dit, en voyant une photo de ses années à la fac : « Il est bien habillé ! On dirait qu’il est un président ! »

C’est en photo, par mail, ou par téléphone que notre relation à lui s’est tissée dans les dernières années. Il était de ceux qui participent à rendre tangible mon héritage Outre-Atlantique. Il habitait sur la côte Ouest des États-Unis, entre l’Océan Pacifique et les Grands Parcs Nationaux Californiens : pas vraiment la porte à côté !

Mathématicien, il partageait volontiers sa passion

Du plus loin que je me rappelle j’ai toujours connu sa passion pour les maths. C’était non seulement son métier, mais aussi une manière de vivre la vie. Parfois, il m’envoyait une carte avec un problème à résoudre ou un dessin géométrique à décoder. Il avait repris cette habitude avec notre aîné : une façon de nous encourager à faire des maths en jouant, ou inversement… C’était aussi lui qui m’a initiée au Sudoku !
Professeur de mathématiques a Caltech, il a publié des livres remplis de lettres grecques, de signes mathématiques et d’opérations dont je suis, encore à ce jour, incapable de comprendre le sens. Il parait que cela a trait à la théorie du treillis : bon courage à celui ou celle qui saura me la rendre compréhensible !

Extrait d’article paru dans le Pacific Journal of Mathematics dans les années 1960.

Voyageur, il partageait aussi les joies de son pays

Après sa retraite, Grampa Dick a voyagé au quatre coins du monde et j’ai collectionné ses cartes et les timbres nous arrivant de Java comme du Mexique ou encore des Pays-Bas.

Et puis, il m’a permis de visiter son pays à plusieurs reprises et de faire ma propre collection de photos.
Pour mes 10 ans, j’ai pu passer un mois d’été chez lui. J’y ai découvert l’océan, San Francisco, des aquariums géants, les écureuils gris etc… Il jouait au tennis toutes les semaines et m’emmenait sur sa barque pour pêcher.

Grampa Dick et moi devant la Coit Tower de San Francisco en 2009

Une fois adulte, c’est avec Olivier que j’ai pu lui rendre visite. Il avait alors 85 ans. La raquette avait été rangée et le bateau vendu. Il se plaignait souvent de la nourriture américaine : pour compenser nous avons dévoré de vrais burritos mexicains, mangé des Pizza italiennes faites maison par ses soins et englouti son saumon cuit au barbecue.
Comme nous tous, il avait ses contradictions : un jour, il nous a emmené manger un véritable « Fish and chips » à l’insu de sa femme. Je n’ai jamais su si c’était le goût du poisson frit ou l’idée de faire ça en douce qui l’avait rendu si content – ou les deux…

Curieux, il partageait avec humour ses convictions

Il a toujours eu les yeux ouverts sur le monde. Il savait parler de politique française ou nous entrainer sur les cours de Roland Garros. Peut-être est-ce parce qu’il est né entre les deux guerres où l’on prenait conscience de la globalisation de la géopolitique. Peut-être aussi parce que ses enfants et petits-enfants ont vécu en Afrique puis en Europe. Peut-être simplement parce qu’il était curieux.

Cette ouverture d’esprit pouvait s’entendre dans la musique qu’il écoutait ou alors en ouvrant un de ses tiroirs pour y découvrir toutes sortes de drapeaux du monde entier.
Le 14 juillet, il hissait celui de la France, le 1er août, celui de la Suisse, le 4 juillet, évidemment celui des États-Unis. Il était connu pour cette fantaisie dans tout son voisinage et c’était sa manière d’encourager à voir plus loin que le bout de son nez.

Cela fait un petit moment que les drapeaux ne flottent plus devant sa maison. Mais dans nos cœurs, Grampa Dick restera un exemple de modestie et d’amour de la vie : savoir faire jongler les chiffres et aimer les fish&chips c’est absolument et résolument compatible !